Palmipèdes gras - influenza aviaire :
 Des éleveurs soumis à une violence économique et psychologique

« C’est très bizarre ! » Tristan Cordier montre les étagères quasiment vides du local où sont entreposées les conserves de foies gras et autres préparations à base de canard gras. En ce 13 décembre, à l’approche des fêtes de fin d’année, elles devraient être bondées.  « Normalement, demain devrait être notre plus grosse journée de l’année. » Mais cette année, rien n’est normal. Les parcours sont pleins d’herbe, quelques moutons y ont pris la relève des canards ; les bâtiments d’élevage loin d’être remplis. Il a quand même pu rentrer 1 100 canetons d’un jour, 300 fin novembre, 800 la veille de notre rencontre, en provenance d’un couvoir situé en Vendée où il se sert habituellement, « avec laisser-passer, rentrer des canards c’est administrativement très compliqué ». Ils seront prêts au printemps. Si tout va bien. Car dans 28 jours, des analyses devront être faites sur les derniers arrivés et si un écouvillon s’avère positif, ils devront tous être abattus. « Tout peut s’arrêter du jour au lendemain, il y a une inquiétude quotidienne, une violence psychologique. »

Tristan Cordier travaille avec ses parents et son oncle. La Ferme de Péchevy, située à Monclar-de-Quercy élève, transforme et commercialise 4 000 canards. Cette année, il leur manque 2 900 canards qui auraient dû rentrer entre juin et août. Le calcul est simple : ils ont perdu 70% de leur chiffre d’affaires. « On ne sera probablement jamais indemnisé. Les élevages des zones indemnes sont exclus des dispositifs d’indemnisation. » Il n’y a pas eu d’abattages durant 9 mois, le stock est épuisé. Leur mode de commercialisation en vente directe les amène à recevoir de nombreux appels téléphoniques pour des commandes : « Les clients ne sont souvent pas du tout au courant de notre situation. Ils voient les supermarchés pleins de choses qui viennent de l’étranger, pensent que la grippe aviaire est finie. Et après avoir reçu les explications, ils sont tristes pour nous et pleins de regrets car il y a une association très forte entre le foie gras et les fêtes. »  

Filière menacée

Lui qui est président de l’AVP 82, l’association des éleveurs de palmipèdes gras et bien qu’elle soit actuellement « en dormance à cause de la violence de la crise », conserve une attention et une vision collective sur la situation tarn-et-garonnaise : « Je prends le temps de dire que la situation est très compliquée pour les éleveurs. » Il fait référence aux investissements réalisés pour les mises aux normes liées à l’influenza aviaire, « beaucoup ont emprunté ».  Il relate une estimation qui fait état de 50% de mises en place réalisées de mai à septembre, « les mois où l’on met en place pour les fêtes » et sur ces 50 %, il y a une part non négligeable de canettes : « Les gens sont désespérés, certains ont pris ce qu’ils ont trouvé pour ne pas perdre leurs clients. Le foie des canes est rouge, innervé et plus petit, le gavage marche plus ou moins bien. » Et de résumer le contexte tarn-et-garonnais pour les fêtes : « Il n’y en aura peut-être pas pour tout le monde ou pas forcément de la qualité voulue. »

Il regrette que les couvoirs aient été laissés libres de s’organiser à leur guise : « Ils ont servi prioritairement les gros industriels ou choisi de faire des rotations. Il y a des éleveurs qui ont eu zéro rentrée, d’autres une puis plus rien. En Tarn-et-Garonne, nous sommes 80% à être des petits producteurs indépendants, nous n’avons pas la possibilité de négocier. » Il explique que les couvoirs ont maintenant retrouvé un rythme de production presque normal mais que, du fait de la multiplication des zones réglementées en raison de la multiplication des foyers, ils peinent désormais à vendre leur production.

Il attend que la vaccination, dans laquelle il met beaucoup d’espoir, soit ciblée prioritairement sur les couvoirs et ajoute : « il faut que l’Etat prenne des mesures pour protéger les six sites encore plus sensibles d’élevage de grands-parentaux ».

Tristan s’inquiète aussi pour l’avenir de la filière du département. « Le renouvellement des générations est arrêté net. Quel jeune va vouloir s’installer avec une production si aléatoire, dans une folie pareille ? » Lui-même, âgé de 27 ans, déplore de n’avoir « même pas le luxe de se poser la question de son avenir ».

Dominique Forneris